
La crise climatique représente un défi sans précédent pour nos systèmes juridiques. Alors que les conséquences du réchauffement planétaire deviennent toujours plus tangibles, une question émerge dans le débat juridique mondial : les dirigeants d’entreprises et les décideurs politiques peuvent-ils être tenus pénalement responsables de leur inaction face au changement climatique? Cette interrogation fondamentale bouleverse les cadres traditionnels du droit pénal et ouvre la voie à un nouveau champ de responsabilité. Des procédures judiciaires innovantes se multiplient à travers le monde, cherchant à établir un lien causal entre les décisions (ou l’absence de décisions) des dirigeants et les dommages climatiques. Cette évolution juridique, encore balbutiante mais déterminée, pourrait transformer profondément notre approche de la gouvernance environnementale et des obligations fiduciaires.
Fondements juridiques de la responsabilité pénale environnementale
Le concept de responsabilité pénale environnementale s’est construit progressivement, s’appuyant sur des principes fondamentaux du droit international et des législations nationales. Le principe pollueur-payeur, consacré lors de la Conférence de Rio en 1992, constitue l’une des pierres angulaires de cette construction juridique. Il pose le postulat que celui qui génère une pollution doit assumer les coûts de prévention et de réparation des dommages causés à l’environnement. Cette approche s’est graduellement étendue au-delà de la simple responsabilité civile pour intégrer une dimension pénale.
En France, cette évolution s’est traduite par l’adoption de textes majeurs comme la Charte de l’environnement de 2004, qui a constitutionnalisé le droit à un environnement sain, et la loi relative à la responsabilité environnementale de 2008. L’intégration du préjudice écologique dans le Code civil en 2016 a marqué une étape supplémentaire. Parallèlement, le Code pénal français contient diverses infractions environnementales, notamment dans son livre V relatif aux crimes et délits contre les biens.
Au niveau international, le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale fait l’objet de discussions pour y inclure le crime d’écocide, défini comme la destruction massive des écosystèmes. Cette notion, portée par des juristes comme Polly Higgins, vise à sanctionner les atteintes les plus graves à l’environnement. En 2021, la Commission des lois française a adopté une proposition visant à intégrer ce crime dans le droit national.
La spécificité de la responsabilité pénale liée à l’inaction climatique réside dans son caractère préventif. Contrairement au droit pénal traditionnel qui sanctionne après la commission d’un acte répréhensible, cette nouvelle forme de responsabilité cherche à sanctionner l’absence d’action face à un risque connu. Cette approche s’appuie sur le principe de précaution, formalisé dans de nombreux textes internationaux et nationaux, qui impose de prendre des mesures effectives face aux risques, même en l’absence de certitude scientifique absolue.
La jurisprudence commence à se construire autour de ces principes. L’affaire Urgenda aux Pays-Bas en 2019 a constitué un précédent majeur, la Cour suprême néerlandaise ayant confirmé l’obligation de l’État de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Bien que relevant du droit civil, cette décision a ouvert la voie à une réflexion sur les implications pénales potentielles de l’inaction climatique.
- Reconnaissance progressive du préjudice écologique dans les systèmes juridiques
- Émergence du concept d’écocide comme crime international potentiel
- Application du principe de précaution comme fondement de l’obligation d’agir
- Développement d’une jurisprudence climatique novatrice
La caractérisation de l’inaction climatique comme infraction pénale
La qualification pénale de l’inaction climatique soulève des défis juridiques considérables. Pour constituer une infraction pénale, l’inaction doit répondre aux critères fondamentaux du droit pénal : légalité, matérialité et intentionnalité. Le principe de légalité (nullum crimen, nulla poena sine lege) exige qu’une infraction soit clairement définie par la loi avant sa commission. Or, l’inaction climatique représente un concept relativement nouveau, dont les contours juridiques restent à préciser.
La matérialité de l’infraction pose la question de la définition même de l’inaction. S’agit-il du non-respect d’obligations légales spécifiques, comme les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre fixés par des textes comme l’Accord de Paris ? Ou peut-on considérer comme infraction le fait de ne pas prendre des mesures suffisantes face aux risques climatiques connus ? Cette dernière approche s’apparente à la notion de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, prévue par l’article 223-1 du Code pénal français.
L’élément intentionnel constitue sans doute l’aspect le plus complexe. Le droit pénal exige généralement la preuve d’une intention coupable (dol). Dans le cas de l’inaction climatique, cela impliquerait de démontrer que le dirigeant avait connaissance des risques climatiques et a délibérément choisi de ne pas agir. La notion de dol éventuel, reconnue dans certains systèmes juridiques, pourrait s’appliquer : le dirigeant, sans nécessairement vouloir causer un dommage, a accepté le risque qu’il survienne.
Les formes de l’inaction climatique répréhensible
L’inaction climatique peut prendre diverses formes susceptibles de qualification pénale :
La non-conformité réglementaire constitue la forme la plus directe. Il s’agit du non-respect des obligations légales spécifiques en matière climatique. Par exemple, en France, la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 impose aux entreprises cotées de publier des informations sur leurs risques financiers liés au changement climatique. Le non-respect de cette obligation pourrait être sanctionné pénalement.
La négligence caractérisée représente une autre forme d’inaction répréhensible. Elle peut être constituée lorsqu’un dirigeant, disposant d’informations sur les risques climatiques liés à son activité, ne prend pas les mesures nécessaires pour les atténuer. Cette approche s’inspire du devoir de vigilance instauré par la loi française de 2017, qui oblige les grandes entreprises à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement.
La diffusion d’informations trompeuses ou la dissimulation d’informations sur l’impact climatique d’une activité peut constituer une forme indirecte d’inaction climatique. Ces comportements peuvent être qualifiés de fraude ou de tromperie, infractions déjà présentes dans les codes pénaux. Plusieurs procédures ont été engagées contre des compagnies pétrolières accusées d’avoir dissimulé leur connaissance des effets climatiques de leurs activités.
- Qualification potentielle de l’inaction comme mise en danger d’autrui
- Application possible du concept de négligence grave dans les décisions stratégiques
- Sanction de la diffusion d’informations trompeuses sur l’impact climatique
- Reconnaissance progressive d’un devoir de vigilance climatique
Les dirigeants face à la justice climatique : études de cas emblématiques
Ces dernières années ont vu émerger plusieurs affaires judiciaires significatives qui dessinent les contours d’une potentielle responsabilité pénale des dirigeants pour inaction climatique. L’une des plus médiatisées est l’affaire Milieudefensie contre Shell, jugée en 2021 aux Pays-Bas. Le tribunal de La Haye a ordonné à la compagnie pétrolière de réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 par rapport à 2019. Bien que cette décision relève du droit civil, elle établit un précédent majeur en reconnaissant la responsabilité directe d’une entreprise dans la lutte contre le changement climatique. Cette affaire pourrait ouvrir la voie à des poursuites pénales contre les dirigeants qui ne respecteraient pas de telles injonctions judiciaires.
En France, l’affaire du Siècle a marqué une étape importante. En 2021, le Tribunal administratif de Paris a reconnu l’État français responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique. Bien que cette décision ne concerne pas directement la responsabilité pénale des dirigeants politiques, elle établit un standard juridique qui pourrait servir de fondement à de futures actions pénales, notamment en cas de non-exécution persistante des obligations climatiques reconnues par le tribunal.
Aux États-Unis, plusieurs procédures contre des compagnies pétrolières comme ExxonMobil ont été engagées, accusant les dirigeants d’avoir sciemment dissimulé les informations sur l’impact climatique de leurs activités. L’enquête menée par le procureur général de New York a révélé que la compagnie avait connaissance des effets du changement climatique dès les années 1970, tout en finançant publiquement des études niant ce phénomène. Ces actions, bien que principalement civiles jusqu’à présent, posent les jalons d’une possible qualification pénale pour fraude ou tromperie.
En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a rendu en 2021 une décision historique, jugeant que la loi climatique du pays était partiellement inconstitutionnelle car elle ne protégeait pas suffisamment les générations futures. Suite à cette décision, le gouvernement a dû renforcer ses objectifs climatiques. Cette jurisprudence constitutionnelle pourrait servir de base à des poursuites contre des dirigeants qui ne respecteraient pas les nouvelles obligations légales renforcées.
Au Pérou, une affaire particulièrement innovante mérite attention : un agriculteur péruvien, Saúl Luciano Lliuya, a poursuivi le géant énergétique allemand RWE, l’accusant de contribuer au réchauffement climatique qui menace son village. En 2017, la Cour d’appel de Hamm (Allemagne) a admis la recevabilité de cette action, reconnaissant qu’une entreprise pouvait être tenue responsable des conséquences climatiques de ses émissions, même à l’autre bout du monde. Cette décision établit un lien causal entre l’activité d’une entreprise et des dommages climatiques spécifiques, élément fondamental pour une qualification pénale.
Les dirigeants politiques face à leur responsabilité climatique
Les dirigeants politiques font également l’objet d’actions judiciaires innovantes. En Colombie, la Cour suprême a reconnu en 2018 la responsabilité de l’État dans la déforestation de l’Amazonie, ordonnant au gouvernement d’élaborer un plan d’action pour lutter contre ce phénomène. Au Pakistan, la Haute Cour de Lahore a créé une Commission sur le changement climatique pour superviser la mise en œuvre des politiques climatiques nationales. Ces décisions, bien que ne relevant pas du pénal, établissent des obligations juridiques précises dont le non-respect pourrait ultérieurement engager la responsabilité personnelle des décideurs.
- Multiplication des contentieux stratégiques contre les grandes entreprises émettrices
- Reconnaissance judiciaire d’un lien causal entre émissions et dommages climatiques
- Établissement d’obligations climatiques juridiquement contraignantes
- Émergence d’une responsabilité transfrontalière pour les impacts climatiques
Les défis probatoires et procéduraux de la responsabilité climatique
L’établissement d’une responsabilité pénale pour inaction climatique se heurte à d’importants défis probatoires. Le premier concerne la démonstration du lien de causalité entre l’inaction d’un dirigeant spécifique et les dommages climatiques observés. Le changement climatique résulte d’une multitude de facteurs et d’acteurs, rendant difficile l’attribution d’une responsabilité individuelle. Néanmoins, les avancées scientifiques en matière d’attribution climatique permettent désormais d’établir des probabilités de contribution au réchauffement global.
La science de l’attribution, développée notamment par des chercheurs comme Friederike Otto du Environmental Change Institute d’Oxford, vise à déterminer dans quelle mesure le changement climatique anthropique a influencé la probabilité ou l’intensité d’événements météorologiques extrêmes. Ces méthodes scientifiques commencent à être reconnues par les tribunaux comme éléments probants. Dans l’affaire Urgenda, la cour néerlandaise s’est appuyée sur les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour établir les obligations de l’État en matière de réduction d’émissions.
Un autre défi majeur concerne la preuve de la connaissance du risque par le dirigeant. Pour établir sa responsabilité pénale, il faut démontrer qu’il avait connaissance des risques climatiques liés à son activité ou à ses décisions. Cette preuve peut s’avérer complexe, mais les documents internes des entreprises, révélés lors de procédures judiciaires ou par des lanceurs d’alerte, constituent des éléments précieux. Les investigations menées contre ExxonMobil ont ainsi mis en lumière des rapports internes datant des années 1970-1980 qui attestaient d’une connaissance précise des risques climatiques, contrastant avec la communication publique de l’entreprise à la même période.
La question de la temporalité soulève également des difficultés. Les effets du changement climatique se manifestent sur le long terme, alors que la responsabilité pénale s’établit généralement pour des actes aux conséquences immédiates. Ce décalage temporel complique l’établissement d’un lien direct entre une décision (ou une absence de décision) et ses conséquences climatiques. Néanmoins, la jurisprudence évolue vers une reconnaissance de la responsabilité pour des dommages futurs mais prévisibles, comme l’illustre la décision de la Cour constitutionnelle allemande de 2021 sur la protection des droits des générations futures.
Les obstacles procéduraux
Au-delà des défis probatoires, des obstacles procéduraux significatifs existent. La question de la compétence juridictionnelle se pose avec acuité pour des phénomènes transfrontaliers comme le changement climatique. Quel tribunal est compétent pour juger un dirigeant dont les décisions ont des impacts climatiques mondiaux ? Le principe de juridiction universelle, appliqué pour certains crimes internationaux, pourrait-il s’étendre aux crimes environnementaux graves ?
La prescription constitue un autre obstacle majeur. Les effets du changement climatique peuvent se manifester des décennies après les décisions qui y ont contribué. Or, la plupart des systèmes juridiques prévoient des délais de prescription au-delà desquels les poursuites pénales ne sont plus possibles. Certains juristes proposent d’adapter ces règles pour les crimes environnementaux, en s’inspirant du régime applicable aux crimes contre l’humanité, qui sont imprescriptibles dans de nombreuses juridictions.
Enfin, la question de l’immunité se pose pour les dirigeants politiques. Dans quelle mesure les chefs d’État ou de gouvernement peuvent-ils être poursuivis pour leurs décisions ou leur inaction en matière climatique ? Si l’immunité protège généralement les actes accomplis dans l’exercice des fonctions, la jurisprudence internationale tend à limiter cette protection pour les violations graves des droits fondamentaux. L’affaire Pinochet, où la Chambre des Lords britannique a refusé l’immunité à l’ancien dictateur chilien pour des actes de torture, pourrait constituer un précédent pertinent.
- Développement de la science de l’attribution climatique comme outil probatoire
- Utilisation des documents internes des entreprises pour prouver la connaissance du risque
- Adaptation nécessaire des règles de prescription pour les crimes environnementaux
- Remise en question des immunités pour les violations graves du droit à un environnement sain
Vers une justice climatique transformative : perspectives et évolutions
L’émergence d’une responsabilité pénale des dirigeants pour inaction climatique s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation de nos systèmes juridiques face aux défis environnementaux du XXIe siècle. Cette évolution pourrait conduire à une refonte profonde de la gouvernance d’entreprise et des pratiques décisionnelles des dirigeants. La simple perspective de poursuites pénales pourrait avoir un effet dissuasif significatif, incitant les décideurs à intégrer pleinement les considérations climatiques dans leurs stratégies.
Plusieurs innovations juridiques dessinent les contours de cette transformation. La reconnaissance d’un crime d’écocide dans les législations nationales et, potentiellement, dans le droit pénal international constituerait une avancée majeure. En juin 2021, un panel d’experts internationaux coordonné par la juriste Philippe Sands a proposé une définition juridique de l’écocide comme « des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent des dommages graves, étendus ou durables à l’environnement ». Cette définition pourrait servir de base à l’intégration de ce crime dans le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale.
Le développement d’un devoir de vigilance climatique représente une autre évolution significative. À l’image de la loi française sur le devoir de vigilance de 2017, de nombreux pays envisagent d’imposer aux entreprises l’obligation d’identifier et de prévenir les risques climatiques liés à leurs activités. L’Union européenne travaille actuellement sur une directive relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, qui inclurait explicitement les risques climatiques. Le non-respect de ces obligations pourrait engager la responsabilité personnelle des dirigeants.
La financiarisation de la lutte contre le changement climatique constitue un levier puissant pour responsabiliser les dirigeants. Les investisseurs institutionnels et les actionnaires exigent désormais des entreprises qu’elles divulguent leurs risques climatiques et adoptent des stratégies compatibles avec l’Accord de Paris. La Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), créée par le Conseil de stabilité financière, a établi des recommandations qui deviennent progressivement obligatoires dans de nombreuses juridictions. Le non-respect de ces obligations d’information pourrait constituer une infraction pénale dans certains pays.
L’évolution des stratégies contentieuses
Face à ces évolutions, les stratégies contentieuses se diversifient et s’affinent. Les ONG environnementales développent des approches innovantes, combinant actions civiles, administratives et pénales pour maximiser les chances de succès. L’approche du contentieux stratégique, visant à obtenir des décisions juridictionnelles à portée générale, se développe dans le domaine climatique.
Les actions collectives ou class actions constituent un outil particulièrement adapté aux litiges climatiques, permettant de regrouper de nombreuses victimes des impacts du changement climatique. En France, l’action de groupe en matière environnementale, introduite par la loi Justice du XXIe siècle de 2016, pourrait être utilisée contre des entreprises dont l’inaction climatique cause des préjudices à un grand nombre de personnes.
La judiciarisation croissante des questions climatiques soulève des interrogations sur la légitimité démocratique des tribunaux pour trancher ces enjeux complexes. Néanmoins, face à l’urgence climatique et à l’inertie de certains pouvoirs exécutifs et législatifs, le pouvoir judiciaire apparaît comme un recours nécessaire pour garantir le respect des engagements climatiques et protéger les droits fondamentaux des générations présentes et futures.
- Développement du crime d’écocide comme outil juridique contre les atteintes graves à l’environnement
- Renforcement du devoir de vigilance climatique des entreprises et de leurs dirigeants
- Utilisation stratégique des actions collectives dans les contentieux climatiques
- Émergence d’une jurisprudence climatique transformative à l’échelle mondiale
L’avenir de la responsabilité pénale climatique : entre innovation juridique et nécessité écologique
L’évolution de la responsabilité pénale des dirigeants pour inaction climatique s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation du droit face à l’urgence environnementale. Cette mutation juridique reflète un changement profond dans notre compréhension collective de la relation entre l’humanité et son environnement. Le droit, traditionnellement anthropocentrique, évolue vers une approche plus écocentrique, reconnaissant la valeur intrinsèque des écosystèmes et la nécessité de les protéger pour assurer la survie même de l’humanité.
Cette évolution se manifeste par l’émergence de nouveaux droits fondamentaux liés à l’environnement. Le droit à un climat stable, bien que non explicitement reconnu dans la plupart des constitutions, commence à être consacré par la jurisprudence. Dans l’affaire Juliana v. United States, des jeunes américains ont invoqué leur droit constitutionnel à un système climatique capable de soutenir la vie humaine. Bien que cette affaire n’ait pas encore abouti à une décision définitive, elle illustre cette tendance à la constitutionnalisation des enjeux climatiques.
Parallèlement, on observe une évolution du statut juridique accordé à la nature elle-même. Certains pays comme l’Équateur ou la Bolivie ont reconnu dans leur constitution des droits à la Pachamama (Terre Mère). En Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui a obtenu en 2017 une personnalité juridique, avec des gardiens désignés pour défendre ses intérêts. Ces innovations juridiques pourraient à terme faciliter les poursuites contre ceux qui portent atteinte aux équilibres climatiques, en permettant d’agir directement au nom des écosystèmes affectés.
La dimension internationale de la responsabilité climatique soulève la question de la création d’instances juridictionnelles spécialisées. Plusieurs propositions ont émergé, comme celle d’une Cour Internationale de Justice Climatique, qui pourrait juger les atteintes les plus graves aux équilibres climatiques. En attendant la création d’une telle institution, des tribunaux d’opinion comme le Tribunal Monsanto ou le Tribunal International des Droits de la Nature contribuent à développer une jurisprudence symbolique qui influence progressivement le droit positif.
Les implications pratiques pour les dirigeants
Face à ces évolutions, les dirigeants d’entreprises et les décideurs politiques doivent adapter leurs pratiques pour minimiser leur exposition à des risques juridiques croissants. La mise en place d’une gouvernance climatique robuste devient une nécessité. Cela implique l’intégration systématique des considérations climatiques dans les processus décisionnels, l’établissement d’objectifs de réduction d’émissions alignés sur l’Accord de Paris, et la mise en œuvre de mécanismes de suivi et de reporting transparents.
Le développement d’une culture de la compliance climatique au sein des organisations constitue un outil préventif essentiel. À l’image des programmes de conformité anti-corruption qui se sont généralisés après l’adoption de législations comme le Foreign Corrupt Practices Act américain, des programmes de conformité climatique pourraient devenir la norme. Ces dispositifs permettraient d’identifier et de gérer les risques climatiques, tout en documentant les efforts de l’organisation pour démontrer sa bonne foi en cas de contentieux.
La formation des dirigeants aux enjeux climatiques et à leurs implications juridiques représente un autre axe d’adaptation. La littératie climatique devient une compétence essentielle pour les décideurs, qui doivent comprendre les bases scientifiques du changement climatique, ses impacts potentiels sur leur activité, et les obligations légales qui en découlent. Des programmes de formation spécifiques se développent dans les écoles de commerce et d’administration, intégrant ces dimensions dans la préparation des futurs dirigeants.
Enfin, l’anticipation des évolutions réglementaires et jurisprudentielles constitue un avantage stratégique majeur. Les organisations qui adoptent dès aujourd’hui des politiques climatiques ambitieuses, allant au-delà des exigences légales actuelles, se positionnent favorablement face aux durcissements réglementaires prévisibles. Cette approche proactive permet non seulement de limiter les risques juridiques, mais peut constituer un avantage concurrentiel dans un monde où les considérations environnementales pèsent de plus en plus dans les décisions des consommateurs, des investisseurs et des partenaires commerciaux.
- Reconnaissance progressive d’un droit fondamental à un climat stable
- Évolution vers une personnalité juridique accordée aux éléments naturels
- Développement d’une culture de compliance climatique dans les organisations
- Nécessité d’une formation approfondie des dirigeants aux enjeux climatiques et juridiques
FAQ sur la responsabilité pénale des dirigeants pour inaction climatique
Un dirigeant peut-il être personnellement poursuivi pour les émissions de son entreprise ?
Oui, sous certaines conditions. Un dirigeant d’entreprise peut être tenu pénalement responsable s’il est démontré qu’il a consciemment ignoré les risques climatiques associés à l’activité de son organisation ou dissimulé ces risques. La responsabilité pénale requiert généralement la preuve d’une connaissance du risque et d’une décision délibérée de ne pas agir pour le réduire. Les poursuites peuvent s’appuyer sur des infractions existantes comme la mise en danger d’autrui, la tromperie ou le non-respect d’obligations légales spécifiques en matière environnementale.
Comment établir le lien de causalité entre l’inaction d’un dirigeant et les dommages climatiques ?
Le lien de causalité représente l’un des principaux défis juridiques dans les contentieux climatiques. Les tribunaux s’appuient de plus en plus sur la science de l’attribution climatique, qui permet d’établir des probabilités statistiques quant à la contribution d’activités spécifiques aux phénomènes climatiques observés. Dans certaines juridictions, les tribunaux ont commencé à accepter un standard de preuve adapté, reconnaissant qu’une contribution significative au changement climatique peut engager la responsabilité, même si elle n’est pas la cause unique des dommages observés. L’affaire RWE en Allemagne illustre cette évolution, le tribunal ayant admis qu’une entreprise pouvait être tenue responsable proportionnellement à sa contribution aux émissions globales.
Quelles sanctions pénales pourraient s’appliquer aux dirigeants reconnus coupables d’inaction climatique ?
Les sanctions dépendent du cadre juridique national et des infractions spécifiques retenues. Elles pourraient inclure des peines d’emprisonnement, particulièrement en cas de mise en danger délibérée d’autrui ou de fraude caractérisée. Des amendes substantielles constituent une autre option, potentiellement calculées en fonction des dommages causés ou des profits réalisés grâce à l’inaction. Des peines complémentaires comme l’interdiction de gérer une entreprise ou d’exercer certaines fonctions publiques pourraient s’appliquer. Dans certaines juridictions, des sanctions restauratives obligeant le dirigeant à participer personnellement à des actions de réparation environnementale sont envisageables.
Comment les dirigeants peuvent-ils se prémunir contre ces risques juridiques ?
Les dirigeants peuvent adopter plusieurs stratégies préventives. La mise en place d’une gouvernance climatique robuste constitue une première ligne de défense, avec l’intégration systématique des considérations climatiques dans les processus décisionnels et la définition d’objectifs alignés sur l’Accord de Paris. La documentation rigoureuse des analyses de risques climatiques et des mesures prises pour les atténuer peut démontrer la bonne foi du dirigeant en cas de contentieux. L’établissement d’un système d’alerte précoce pour identifier les risques émergents et la consultation régulière d’experts indépendants renforcent cette protection. Enfin, la transparence dans la communication sur les impacts climatiques de l’organisation et ses stratégies d’atténuation limite les risques d’accusations de tromperie ou de dissimulation.
Les assurances peuvent-elles couvrir la responsabilité pénale des dirigeants pour inaction climatique ?
La couverture assurantielle de la responsabilité pénale est limitée par principe. Si les assurances responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS) peuvent couvrir certains aspects financiers comme les frais de défense ou les amendes civiles, elles excluent généralement les sanctions pénales personnelles comme l’emprisonnement. De plus, de nombreuses polices d’assurance excluent explicitement les actes intentionnels ou frauduleux. Les compagnies d’assurance développent néanmoins des produits spécifiques pour couvrir les risques climatiques, mais ces offres se concentrent principalement sur la responsabilité civile plutôt que pénale. Les dirigeants devraient examiner attentivement les clauses d’exclusion de leurs polices d’assurance et envisager des couvertures complémentaires adaptées aux risques climatiques émergents.